Jayiesh (Jay) Singh avait 15 ans lorsqu’il a commencé à faire du bénévolat dans un établissement de soins de longue durée où sa mère travaillait. « J’en ai tiré beaucoup de satisfaction, mais j’ai aussi vu la dimension humaine du vieillissement », explique-t-il.
M. Singh a notamment été témoin des frustrations auxquelles font face les personnes âgées qui ont besoin d’aide pour s’installer dans leur lit ou une chaise ainsi qu’en sortir. « Les gens sont alors réellement privés de leur autonomie. Vous ne pouvez pas manger quand vous le souhaitez. Impossible d’aller à la salle de bain quand vous le souhaitez. Vous dépendez des aidants naturels dont le temps est extrêmement limité. »
Les transferts de patients sont longs et exigeants physiquement. Déplacer un résident pour le mettre au lit ou l’en sortir peut prendre plusieurs minutes et nécessite la participation de nombreux membres du personnel. Et avec la crise liée à la COVID-19, de nombreux établissements ont plus de difficultés que jamais avec les niveaux de dotation.
« Les préposés aux services de soutien à la personne (PSSP) effectuent des transferts jour après jour. Il s’agit d’un travail éreintant qui est très dur physiquement et pour lequel les blessures sont fréquentes, des microtraumatismes répétés en passant par les dislocations. »
Les personnes transférées risquent également de se blesser : les chutes et les déchirures de la peau sont fréquentes. En Amérique du Nord, les hôpitaux dépensent 18 milliards de dollars par année pour traiter les blessures liées aux transferts de personnes, aussi bien chez le personnel que les patients.
Les dispositifs de levage mécaniques actuels sont imposants et fonctionnent comme une grue. « Essentiellement, nous traitons les gens comme une pile de poids. C’est odieux. »
Maintenant âgé de 33 ans, M. Singh a mis à contribution son expérience dans le domaine de la robotique afin de mettre au point une solution technologique. En 2018, il a réhypothéqué sa maison et a fondé une entreprise, Able Innovations, pour mettre un produit sur le marché.
Avec l’aide d’AGE-WELL, Able Innovations dispose maintenant d’un prototype fonctionnel de son dispositif de transfert latéral automatisé. La plateforme DELTA utilise une bande transporteuse pour « rouler » sa plateforme de transfert sous la personne soulevée de manière non intrusive.
« Il s’agit d’une plateforme très compacte qui peut se déployer sous vous de façon sécurisée, vous soulever et vous amener à la surface suivante. Grâce à la plateforme DELTA, un seul aidant naturel peut effectuer un transfert sans exercer aucun effort physique. » Le système est mains libres et autodésinfectant.
En pleine crise de la COVID-19, M. Singh croit que les établissements ont plus que jamais besoin de tels appareils pour protéger le personnel de première ligne.
Et pour les patients, les essais effectués avec l’appareil montrent « qu’il y a très peu de forces externes appliquées sur le corps. Qui plus est, les forces exercées sont considérées comme étant situées dans les seuils de tolérance acceptables pour la peau humaine ».
Able Innovations cherche à accélérer le processus de mise au point de l’appareil. L’entreprise s’emploie actuellement à obtenir sa première série d’investissements et dispose d’un investisseur principal.
« Ce serait extraordinaire, déclare Maurine Parzen, infirmière autorisée et professeure à la faculté des sciences infirmières du Mohawk College of Applied Arts & Technology. Disposer d’un tel appareil ferait en sorte de diminuer le temps et les ressources humaines requis pour effectuer les transferts nécessaires. Ce serait vraiment profitable aux infirmiers et infirmières ainsi qu’aux patients. »
C’est un point de vue que partage Bill Jarvis, 82 ans, une personne résidant dans un établissement de soins de longue durée qui a subi un accident vasculaire cérébral il y a dix ans. « Je compte entièrement sur le personnel de soutien pour me transférer d’un endroit à l’autre. Tout ce qui peut m’aider à retrouver une plus grande autonomie est d’une grande importance pour moi. »
Able Innovations cible d’abord le marché des établissements, avec une version pour usage résidentiel prévue plus tard. L’un des principaux défis de conception a été de trouver un matériau solide et hygiénique, sans danger pour les peaux délicates. C’est là où AGE-WELL est entrée en scène, avec une subvention de 40 000 $ qui a permis de mettre l’entreprise en contact avec Bruce Wallace, directeur général du Centre national d’innovation SAM3 d’AGE-WELL, une initiative conjointe de l’Université Carleton et de l’Institut de recherche Bruyère.
Le professeur Wallace a mis au point un mannequin équipé de capteurs capables de mesurer les forces de traction ou de poussée exercées sur la peau par le prototype DELTA. Le mannequin « intelligent » est utilisé pour perfectionner le système de transfert des patients.
« Dès qu’on nous a présentés, nous avons voulu travailler ensemble », explique M. Singh.
« AGE-WELL veut vraiment que tout le monde vieillisse avec grâce et dans la joie, et ce, par tous les moyens possibles. Et il est extrêmement important pour nous d’avoir ce réseau de personnes dont la mission est semblable à la nôtre. »
M. Singh a l’intention de mettre un produit sur le marché au début de 2021. Entre-temps, la rétroaction pendant la phase d’essai a été positive – tant de la part du personnel des soins de santé, des personnes qui ont besoin de soins que des membres de leur famille.
« Leurs yeux s’illuminent », mentionne M. Singh. Quand ils voient ce que nous faisons, cela leur donne vraiment de l’espoir. »