Technologies de prévision, prévention et détection des chutes

Enfant, Steve Robinovitch aidait sa grand-mère à se déplacer sur les trottoirs glacés de Winnipeg : c’est peut-être ce qui allait faire de lui un chercheur plus tard…

« Plus le temps passait, plus je constatais les effets physiques et psychologiques du vieillissement sur sa capacité de bouger, relate-t-il. Elle était brave, mais elle craignait aussi de tomber. »

Ses craintes étaient fondées. Cette histoire d’un proche âgé qui tombe, se casse une hanche, puis perd une capacité après l’autre jusqu’à en décéder précocement, la plupart d’entre nous la connaissent. Et les statistiques soutiennent cette impression.

Les blessures liées à des chutes chez les adultes d’âge avancé coûtent environ 3,5 milliards de dollars par année au Canada. Parmi les adultes d’âge avancé qui se fracturent une hanche dans une chute, il y a décès l’année qui suit dans 25 pour cent des cas. De plus en plus de chercheurs constatent aussi les terribles ravages des traumatismes crâniens, lesquels sont associés à près de la moitié des décès suivant une chute.

Le risque de chute est le premier motif qui amène une personne en maison de soins.

« Or les coûts sont énormes, pour la personne et pour sa famille », insiste Robinovitch.

Professeur à l’école des sciences du génie et au département de physiologie et kinésiologie biomédicales de l’Université Simon-Fraser, Robinovitch codirige aussi le projet de recherche fondamentale d’AGE-WELL intitulé PPD-CHUTE – Technologies de prévision, prévention et détection des chutes.

 L’équipe du projet réalise une recherche originale sur l’apport des systèmes de caméras vidéo pour cibler les facteurs de chute en contexte de soins de longue durée. Elle développe également un système de capteurs portables pouvant produire des données complexes sur les patrons de déplacement et les chutes. Le produit peut fonctionner à l’aide de capteurs intégrés à un téléphone intelligent ou à une montre-bracelet. Cet équipement pouvant aider à détecter les risques de chute permet aussi d’accompagner la personne en temps réel dans ses exercices et sa réadaptation.

« Grâce aux systèmes de capteurs portables, nous pouvons surveiller la quantité et la qualité de déplacements d’une personne dans son quotidien. Le défi, c’est de travailler avec les fournisseurs de soins, les adultes d’âge avancé et les chercheurs pour s’entendre sur les résultats les plus probants et ainsi éliminer les freins à l’adoption », explique Robinovitch.

L’équipe du projet PPD-CHUTE teste aussi des innovations très prometteuses sur le terrain, notamment une technologie de « plancher adaptatif ». L’équipe a travaillé avec un partenaire du secteur pour modifier un matériau de sous-plancher existant appelé « Smart Cell », conçu pour les gens qui doivent travailler debout pendant de longues heures. L’impression est la même que sur un plancher normal, mais de multiples colonnes qui se contractent sous la force d’un objet, puis se relâchent se trouvent sous la surface.

Les participants en formation du projet PPD-CHUTE font des essais d’efficacité du plancher adaptatif et des protecteurs de hanche portables au moyen de simulateurs d’impacts aux hanches.

Les participants en formation du projet PPD-CHUTE font des essais d’efficacité du plancher adaptatif et des protecteurs de hanche portables au moyen de simulateurs d’impacts aux hanches.

« En fait, si vous laissez tomber un œuf dessus, il rebondira », explique le codirecteur du projet Fabio Feldman, qui est aussi à la tête du service de prévention des chutes et des blessures chez les aînés à Fraser Health (et un ancien étudiant de Robinovitch, à l’Université Simon-Fraser).

L’équipe du projet PPD-CHUTE teste le concept dans le cadre d’un essai clinique réalisé dans 150 chambres d’un établissement de soins : la moitié des chambres ont aléatoirement été dotées du plancher adaptatif; la moitié des chambres ont aussi été rénovées. Les résultats ne seront connus qu’à 2018, mais selon les études en laboratoire, le système pourrait avoir un effet important sur la fréquence des fractures à la hanche et des blessures à la tête.

« C’est relativement simple comme intervention, mais néanmoins prometteur », indique Feldman.

Selon lui, l’adoption du plancher adaptatif marquerait un changement de paradigme, surtout dans les soins de longue durée, parce qu’on se mettrait en mode prévention des chutes et des blessures.

« Le risque, avec la prévention des chutes, c’est que le personnel en vienne à décourager les résidents de bouger par crainte qu’ils ne tombent. La qualité de vie des résidents en prend alors un coup », explique Feldman.

« L’avantage d’un tel plancher, c’est qu’une fois installé, il n’est pas nécessaire de le faire accepter par les utilisateurs. Cette technologie est un bon exemple de prévention “passive”. Bien entendu, pour la mettre en place, il faut des preuves de son efficacité en termes clinique et économique. Ce sont là les deux résultats de notre étude clinique », conclut-il.

En plus de passer les produits existants sous leur loupe, les chercheurs conçoivent aussi leurs propres versions du plancher adaptatif. Ils cherchent à concevoir un produit équilibré, c’est-à-dire capable d’amortir les chutes, mais pas souple au point de limiter l’emploi d’un fauteuil roulant ou d’un autre appareil, voire de nuire à l’équilibre.

L’équipe du projet PPD-CHUTE développe également la prochaine génération de protecteurs de hanche portables. Même si l’efficacité des protecteurs de hanche a été prouvée – ils réduisent le risque de fractures de pas moins de 80 % –, il reste que convaincre les gens de les porter systématiquement n’est pas aisé. Outre la question du confort et de l’apparence, ce vêtement doit être lavé souvent et peut compliquer le simple fait d’aller à la toilette.

La solution de Feldman et son équipe, c’est d’éliminer le vêtement pour plutôt utiliser des coussinets munis d’une bande adhésive double face, sans danger pour la peau, que l’utilisateur pourrait apposer directement sur les hanches. La personne pourrait porter les coussinets jusqu’à 21 jours et n’aurait pas à les retirer pour aller à la toilette. Le produit est soumis à des essais cliniques et une société est sur le point de le mettre sur le marché.

Aujourd’hui, soit bien des années après avoir vu sa grand-mère vivre avec cette peur des chutes, Robinovitch se réjouit de faire de la recherche sur la prévention des blessures liées aux chutes chez les adultes d’âge avancé.

« Que notre travail amène de nouvelles connaissances pouvant améliorer la vie de nos aînés est inestimable à mes yeux. C’est une grande motivation pour moi! »