Projet 6.3 d’AGE-WELL: PAIN-ASSESS – Conception, mise en œuvre et évaluation d’un système de détection automatique de la douleur pour les aînés atteints de démence

L’ironie est évidente : un projet de recherche en technologie qui oblige les humains à abattre un travail éreintant.

Erin Browne (à gauche), étudiante diplômée en psychologie affiliée à AGE-WELL, et deux adjoints de recherche étudient les comportements liés à la douleur dans une vidéo montrant un patient et un professionnel de la santé.

Erin Browne (à gauche), étudiante diplômée en psychologie affiliée à AGE-WELL, et deux adjoints de recherche étudient les comportements liés à la douleur dans une vidéo montrant un patient et un professionnel de la santé.

Une équipe de l’Université de Regina a passé jusqu’à 50 heures par semaine, sur une période de plusieurs mois, les yeux rivés sur un écran vidéo à coder manuellement diverses expressions non verbales dénotant la douleur. Elle a ainsi codé 50 000 images vidéo, tâche défiant l’imagination.

Chaque analyse a ensuite été vérifiée par un collègue pour en assurer l’exactitude. Ce processus a été rendu encore plus difficile quand il est devenu évident que le logiciel utilisé initialement pour le codage ne suffisait pas à la tâche et qu’il a fallu acheter une version plus chère.

“C’est une tâche énorme”, a affirmé le codirecteur du projet, Thomas Hadjistavropoulos, titulaire de la chaire de recherche de l’université sur le vieillissement et la santé.

Mais c’était la seule façon de recueillir les données brutes pour un projet financé par AGE-WELL qui pourrait révolutionner la façon d’évaluer la douleur dans les établissements de soins de longue durée. L’objectif de PAIN-ASSESS est d’adapter les technologies de reconnaissance faciale afin d’alerter le personnel quand une personne atteinte de démence éprouve de la douleur.

Il s’agit d’un besoin pressant. Le Dr Hadjistavropoulos cite des études concluant que les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer sévère se font beaucoup moins prescrire des médicaments analgésiques que les autres adultes. Ils n’arrivent souvent pas à communiquer ce qu’ils ressentent, et le personnel surchargé n’a pas le temps d’évaluer régulièrement la douleur de chacun des résidents.

Le Dr Thomas Hadjistavropoulos dirige l’équipe de l’Université de Regina.

Le Dr Thomas Hadjistavropoulos dirige l’équipe de l’Université de Regina.

“La douleur est sous-évaluée et sous-traitée dans les établissements de soins de longue duré”, affirme-t-il.

Les conséquences peuvent être très néfastes. Les personnes atteintes de démence peuvent devenir agressives quand leur douleur n’est pas détectée. Le personnel prescrit parfois des médicaments psychotropes alors que le résident n’a besoin que d’un analgésique. Ces médicaments psychotropes peuvent à leur tour augmenter le risque de décès.

Les membres de l’équipe de l’Université de Regina ont regardé des écrans pendant toutes ces heures pour étudier la réaction des personnes atteintes de démence et cataloguer les expressions dénotant la douleur. Il pouvait s’agir d’un sourcil baissé ou d’une grimace, expressions qu’un employé d’un établissement de soins de longue durée pourrait remarquer s’il avait le temps de surveiller chacun des résidents, à toute heure du jour.

Les données brutes fournies par le groupe du Dr Hadjistavropoulos sont mises en commun avec l’équipe partenaire du Toronto Rehabilitation Institute (TRI), dirigée par le Dr Babak Taati, un scientifique de l’équipe d’intelligence artificielle et de robotique du TRI.

M. Taati indique que les annonceurs utilisent déjà la technologie de reconnaissance faciale pour reconnaître les émotions. Il s’agit d’un outil précieux pour analyser les réactions des publics-tests pendant les études de marché, mais ces algorithmes ne fonctionnent pas nécessairement sur des visages plus âgés, ayant des rides, et qui expriment parfois les émotions autrement en raison des effets de la démence.

“C’est un développement dans un nouveau domaine”, affirme le Dr Taati.

Le Dr Babak Taati, qui dirige l’équipe TRI-UHN, et le Dr Ahmed Ashraf, boursier postdoctoral affilié à AGE-WELL, travaillent en collaboration sur le projet PAIN-ASSESS.

Le Dr Babak Taati, qui dirige l’équipe TRI-UHN, et le Dr Ahmed Ashraf, boursier postdoctoral affilié à AGE-WELL, travaillent en collaboration sur le projet PAIN-ASSESS.

Son équipe se servira des données recueillies à Regina pour créer de nouveaux algorithmes qui, en plus de détecter les signes de douleur, tenteront de saisir ces indicateurs même si une caméra de mauvaise qualité (et moins chère) est utilisée. L’objectif serait d’installer plusieurs caméras partout dans un établissement de soins, dans les chambres, mais aussi dans les aires communes, afin de détecter efficacement la douleur sur le visage des résidents.

“La nature interdisciplinaire du projet et l’accent mis sur les coûts abordables de sa mise en œuvre mettent en lumière des difficultés techniques très intéressantes”, déclare-t-il.

Compte tenu de la sensibilité au respect de la vie privée, les caméras n’enregistreront jamais les images. Leur objectif est uniquement de prévenir le personnel quand il faut évaluer la douleur d’un résident.

Un psychologue de la santé qui dirige une équipe à Regina participe au projet, en collaboration avec un ingénieur informatique menant une équipe à Toronto. Le Dr Ken Prkachin, un expert de l’Université du Nord de la Colombie-Britannique dans le domaine de l’expression non verbale de la douleur, est aussi un co-chercheur important du projet. L’équipe de PAIN-ASSESS œuvre au sein d’un groupe de chercheurs à l’Université de l’Alberta et à l’Université de Toronto, qui travaille sur des projets connexes. En d’autres mots, PAIN-ASSESS est un projet typique d’AGE-WELL, dans le cadre duquel des experts de divers domaines sont réunis pour trouver des synergies grâce à leurs compétences complémentaires.

Si tout se déroule bien, un prototype devrait être prêt d’ici trois ans, et les essais devraient commencer dans deux établissements de soins de longue durée d’ici la quatrième année. Le succès du projet produirait un cercle vertueux : de plus nombreuses personnes souffrant de démence recevraient les médicaments analgésiques dont ils ont besoin, au moment où ils en ont besoin, ce qui réduirait le nombre de cas d’agression, et donc le niveau de stress du personnel dévoué.

Thomas Hadjistavropoulos pense que PAIN-ASSESS a un énorme potentiel:

“Ce projet pourrait tout changer”.