LE PÉRIPLE DE JIM MANN

Jim Mann a été globe-trotteur. C’est pourtant dans un endroit banal que son périple le plus difficile a commencé. C’était en 2007 : Jim traversait un petit aéroport quand, soudainement, il ne savait plus où il se trouvait ni quoi faire.

Il a rapidement passé une batterie de tests, et le diagnostic est tombé : démence… puis, plus précisément, la maladie d’Alzheimer. Il n’avait que 58 ans. Depuis, il a dû dissoudre son entreprise, renoncer à conduire et composer avec les nombreux défis qui viennent avec la perte de mémoire.

Mais, pour Jim, conclure certains chapitres de sa vie a aussi signifié en entamer plusieurs autres. Il a par exemple décidé de s’impliquer beaucoup bénévolement auprès de plusieurs organismes associés à l’Alzheimer, comme la Société Alzheimer du Canada, où il a croisé la route d’Alex Mihailidis, directeur scientifique d’AGE-WELL.

Alors que Mihailidis faisait une présentation devant le conseil d’administration de la Société, Mann l’a interpellé en lui posant une simple question : « Tient-on compte de la perspective des personnes atteintes de démence dans les travaux d’AGE-WELL pour mettre de l’avant le développement de “technologies d’assistance aux personnes vieillissantes? »

Mihailidis lui a répondu que l’écoute et la participation des utilisateurs finaux à tous les stades du développement sont des piliers de la mission d’AGE-WELL, à tel point que Mann fut même invité comme conférencier d’honneur au premier congrès annuel d’AGE-WELL.

UntitledLors de son allocution, à Calgary, Mann s’est d’abord montré reconnaissant pour cet honneur avant de livrer une analyse lucide et sans détour des défis à venir. Mann utilise la technologie, aime le faire (malgré certaines frustrations occasionnelles) et voit son immense potentiel pour améliorer la vie des gens. Reste qu’il a fait cette mise en garde : beaucoup de gens seront réfractaires aux nouvelles technologies, par méfiance et par peur.

« Suis-je en sécurité avec ça? », « Est-ce qu’on m’espionne? », « Est-ce que ça vaut la peine d’en comprendre le fonctionnement? » Voilà certaines questions que les chercheurs entendront peut-être.

« Présenter et intégrer toute technologie d’assistance devra se faire avec patience et empathie », a-t-il précisé.

Mann a eu beau en appeler clairement à l’inclusion des personnes atteintes de démence dans le processus, il a néanmoins souligné les nombreuses embûches pour les consulter. Ce n’est pas aussi simple que le fait de poser une question.

« On m’a déjà demandé de proposer des idées pour améliorer la sécurité des personnes atteintes de démence, mais la question m’a déconcerté. C’était comme si l’on me demandait de placer une chaise avant même d’avoir les plans de la maison. Bien franchement, les possibilités sont difficiles à concevoir. »

Il a parlé d’un défi personnel pour illustrer ses propos. Il avait l’habitude de faire de longues marches avec sa chienne. Quand il est devenu désorienté, la chienne le sentait et l’aidait à retrouver son chemin. Or la chienne est maintenant trop vieille pour l’accompagner, si bien qu’il ne va plus faire ces longues marches, craignant de se perdre.   Une technologie d’assistance pourrait l’aider, mais comme il ne sait pas ce dont la technologie est capable, il n’a aucune idée de ce qu’il faut recommander.

Ses commentaires ont tout de même été très utiles aux chercheurs et développeurs. Pour creuser la question et cerner les vrais besoins, il faut plus que de simples conversations ou séances de questions-réponses menées dans un bureau : il faut une réelle communication et une collaboration ancrée dans le milieu, en continu.

« Pour les développeurs, cela peut même signifier passer du temps chez les gens pour observer les déplacements d’une personne ou d’un couple », a-t-il conseillé.

« Demandez-leur de vous parler de leur quotidien. Vous ciblerez alors d’intéressantes pistes à suivre pour baliser la conception et le développement de produits qui aideront les gens à bien vivre dans leur chez-soi et leur milieu », a renchéri Mann.

Dans son allocution, il a aussi parlé de la tendance des gens atteints de l’Alzheimer à s’isoler socialement. Or cet isolement peut accélérer la progression de la maladie et peser lourdement sur les aidants – la famille, par exemple –, pour qui les soins prennent rapidement toute la place. Même quand leur qualité de vie se détériore, ils sont nombreux à refuser l’aide extérieure.

Mann a cependant indiqué qu’un système de capteurs à domicile aide à surveiller l’évolution physique et cognitive des personnes atteintes de démence, tout en allégeant le fardeau des soignants.

« Je suis convaincu qu’un réseau de capteurs aidera à préserver une plus grande autonomie et la sécurité des personnes à domicile. Grâce à cet équipement, elles pourront y vivre plus longtemps et, je crois qu’elles n’auront plus à aller à l’hôpital ou chez le médecin aussi souvent. »

Mann a aussi proposé d’élargir les horizons de communication pour briser l’isolement et nourrir les liens avec les membres de la famille, souvent inquiets et qui vivent parfois loin.  Il a donné l’exemple d’un produit appelé Perch, un portail vidéo sur iPad toujours ouvert : il suffit de s’en approcher et de parler. C’est une application ingénieuse et facile d’utilisation pour les personnes intimidées par la technologie.

Mann a parlé avec de nombreuses personnes aux prises avec la démence comme lui, et elles étaient nombreuses à affirmer ne jamais regarder un ordinateur, même si elles en utilisaient un avant, au travail. « Ce sera donc un défi de les convaincre que la technologie peut améliorer leur qualité de vie », a-t-il affirmé.

« Bref, même si la technologie se développe, il y a du travail de vente et de marketing à faire pour éduquer et montrer de vrais exemples, pour illustrer l’avantage immédiat que les gens peuvent en retirer », a-t-il précisé.

Malgré les nombreux vents contraires anticipés, Jim Mann a conclu son allocution sur un enthousiaste appel à l’action, à se laisser porter par ce potentiel technologique qui peut changer la vie des adultes d’âge avancé. Il a tendu la main aux chercheurs, à qui il a offert son expérience de vie pour concevoir de meilleurs produits, mais surtout pour que les utilisateurs soient entendus pendant le processus.

« Si ça nous touche, ça nous regarde », de conclure Mann.